Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
ClairObscure
5 août 2007

Lettre II

Mon cher vous,

j'ai souri lorsque j'ai reçu votre message de quelques mots, vous insistiez sur les vingt-cinq heures qu'il vous a fallu avant d'atteindre votre lieu de vacances - plus tard, quelques heures après, aujourd'hui marchant dans les rues de retour de chez Oo, j'ai souri à l'évocation soudaine (ou tardive) de Stefan Sweig - et de la nouvelle version (guère une heure supplémentaire) que j'aurais pu donner du titre de sa nouvelle célèbre, vingt-cinq heures de la vie d'une femme : une tranche de vie pendant que vous transitiez, pendant que je poursuivais le quotidien des journées parisiennes (vous ne vous doutez pas que la lumière a éclaté dans les rues de Paris, cette lumière estivale qui illumine, et embrume les couleurs les plus vives - seul le ciel demeure d'un bleu azur imperturbable, bleu comme un fourneau, oui l'été enfin).

Et le début de la nouvelle, j'y suis allée promener le bout de mon nez une nouvelle fois (c'est une ancienne lecture) : "(...) La plupart des gens n'ont qu'une imagination émoussée. Ce qui ne les touche pas directement, en leur enfonçant comme un coin aigu en plein cerveau, n'arrive guère à les émouvoir; mais si devant leurs yeux, à portée immédiate de leur sensibilité, se produit quelque chose, même de peu d'importance, aussitôt bouillonne en eux une passion démesurée. (...)". (Zweig me fascine, son écriture m'envoûte l'intelligence, chaque portrait ouvre des portes à de multiples réflexions passionnées sur les caractères humaines, la psychologie - je devrais l'avoir relu des dizaines de fois, et pourtant...un jour j'ai déposé son livre sur l'étagère, j'ai rouvert parfois à la recherche de quelques citations trop certaines pour en relire de pans entiers, ou rentamer la réfléxion.)

J'ai passé la nuit et une grande partie de la journée chez Oo, la vie est simple et douce parfois, et dans ce calme, et à regarder mon amie dans son espace de vie, à plusieurs reprises je me suis demandée où avait cessé le jour où je rêvais encore de - beaucoup. Que j'avais des envies. Que je prenais du plaisir à faire. Que j'avais. Où est passé cet amour des livres de cuisine, dont j'avais commencé la collection ? Où sont passées ces envies de création culinaire ? Où le temps que je consacrais à confectionner de petites décorations ? où le plaisir d'acheter de l'excellent thé ? où le plaisir de le préparer dans une théière ? de le goûter, de le partager ? De photographier, aussi ?Où le temps d'apprendre ?

(Nous avons entamé la création d'un échiquier en argile, une idée d'Oo, son envie - sur une table à la nappe en plastique, nous étions heureuses, je crois)

Oui quand ai-je cessé de désirer - où ? Comme le recueil de Zweig un jour déposé sur l'étagère, refermé longtemps.

Je crois que nous - est un miracle dans ma vie, je crois que j'ai cessé un jour d'incarner la vie dans mon être. Par nous - je revis, j'espère, je crois. Nul doute à cela. Par nous - je reprends goût...à - au lien humain essentiellement, amical, fraternel, social, tout cela petit à petit.

Peut-être qu'avant je préparais ma mort, je m'anesthésiais, je m'éloignais, je me rendais insensible - à tout. Je me persuadais. La déception, c'est cela. Quand la vie ne vous apporte pas ce que vous espériez secrètement, sans jamais le réclamer. Il y a mille façons de quitter la vie. Le cynisme est le poison, certes.

Alors le désir revient, je le ressens, avec lenteur, envie de composer, de créer, de trouver mon atmosphère, mes couleurs, des sons, du goût des doigts aux papilles, de développer cette autre partie, celle qui rayonne, la volonté peut-être.

Je suis lente, attardée - incertaine.

Mais vous m'aimez. Vous êtes heureux avec moi, et vous étiez certain que ce n'était pas une illusion.

Vous avez le sens de la réalité. J'ai le sens de l'expectative.

Les deux chats dorment paisiblement dans la salle où je vous écris, j'ai les oreilles assourdies par les boules Quiès, et le temps flotte dans un sifflement interne, au rythme peut-être de ma respiration. Tout est calme - et vous, vous êtes ailleurs, vous êtes en plein exotisme, vous découvrez, vous ouvrez vos mirettes, et vous inspirez devant le dépaysement. Vous ne me manquez pas, je suis pleine de vous, de votre existence la tête à l'envers sur le bas de la planète, je ne sais pas si c'est la nuit ou le jour là-bas. Si vous dormez, si les moustiques chantent votre arrivée, si...mon imagination a sa vie propre, vous sur l'écran.

Ici, l'été passe. Tout est bien. Bientôt je prendrai le temps de mes vacances, il me reste une semaine de travail. J'ai l'espace. Mes poumons s'ouvrent. Je vous crie des mots silencieux, d'un océan à l'autre. Des mots joyeux. Je vous écrirai des cartes postales de la Goutte d'Or. J'écrirai l'arabe peut-être, dans les rêves fous d'une nuit de chaleur. Vous sourirez, vous saurez.

Tendres pensées, et baisers ardemment.

Vôtre -

Publicité
Publicité
Commentaires
ClairObscure
Publicité
Archives
Publicité