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ClairObscure
24 août 2007

Lettre XII

La sexualité dans son action est une brèche au temps, je n'en connais aucune autre d'aussi béante, et parfaitement indolore pour le temps qui vient.

Je n'ai jamais voulu être plus amnésique de mon passé qu'en ce moment. Je voudrais juste me souvenir avec splendeur que je suis sans doute une injure pour ces années passées, lui faire un doigt d'honneur et le sucer profond.

Vous m'avez écrit que mademoiselle vous aura, et qu'elle ne vous aura pas à moitié. Cela me va. Il n'y a rien qu'une brèche dans le temps sur la totalité qui me permettra de sonder votre nudité pleine.

Je joue avec les mots, certes. Oui je m'étais promis de trancher net chaque représentation du réel, la poésie de mauvaise gare est à la portée de tout écrivant - il est d'autant plus à la portée de ma main, j'aime aussi haïr mon esprit parfois. Je l'ai gâché souvent, mais je n'ai pas d'humour.

Vous permettez que je vous use pour saloper le temps, et nous donner un air d'éternité. Vous aussi, vous oubliez dans ces moments-là qu'ailleurs nos vies se poursuivront après. 

Je me suis souvent demandé ce que je ferai sans sexualité, même débridée - la vie paraîtrait sans échappatoire, car je ne crois pas à la gentillesse, je l'exècre, je ne serai pas Mère Teresa, et alors. Marcher un pas devant l'autre, et pourquoi un pas derrière l'autre, alternons, tenez, c'est déjà bien.

La douleur détourne de la sexualité aussi. La douleur possède l'effet exactement contraire à la sexualité, elle ancre dans le moment présent. Elle rend aussi amnésique, c'est vrai, mais elle n'est pas une brèche au temps, elle en est un sillon. On dit que la douleur excessive fait délirer.

Une nuit vous m'avez recueillie dans la douleur, cette contraction violente qui m'avait jetée au sol dans les toilettes et le froid. Je vomissais plus que je ne le pouvais. Vous m'avez recueillie, puis quand la dernière goutte acide s'est expulsée de ma bouche, la douleur a été vive deux trois fois, puis rien. Plus rien. Et vous m'avez fait l'amour, j'ai trouvé cela étrange et doux d'être désirée dans cette odeur que j'avais plein les mains, de vomissure, et parfois vous détourniez le visage, un peu, de quelques degrés, mais c'est vous qui vouliez mon corps, sa chaleur, et m'embrasser de si près, et j'ai aimé.

Cet été j'ai appris à sortir de moi. Un peu. Ce n'était pas la peur, mais la fatigue de vivre qui m'en empêchait. J'ai marché jusqu'à des endroits pour passer le temps ailleurs, une librairie vers Beaubourg, un café vers la rue Jean-Pierre Timbaud, des rues pour regarder, et des cours derrière les immeubles, il y a des trésors que je n'ouvrais pas. J'ai repassé quelques draps, sur mon lit je les ai pliés pour les ranger, mon coeur s'est serré un peu quelques instants, ces gestes-là j'avais cessé de les faire pendant des mois, à nouveau ces gestes simples, ces gestes qui ordonnent le quotidien, me sont revenus, c'est comme si je forçais la vie.

Avoir vingt-sept ans, et apprendre enfin à vivre au jour le jour, ça paraît pathétique, mais je ne veux même plus le savoir, ça aurait pu être pire, j'aurais pu ne pas vouloir vivre du tout, j'aurais pu être autrement courageuse.

Adieu dépression, ma concubine des années derrière - je n'arriverais pas à le croire parfois, que tout cela se soit envolé soudain. La sexualité m'a tenue en vie, de l'intérieur, m'a accrochée à un espoir, drôle d'espoir, au vouloir-signifier une vie qui devait m'arriver un jour. Et ce jour est venu, et se poursuit.

Ma vie sera un long jour, qui s'égorgera. Vous m'avez dit ne pas avoir renoncé à être heureux, je vous ai dit que j'avais pressenti que le bonheur m'attendait quelque part, nous nous croisons - est-ce étrange ? mais je ne peux rien à votre bonheur, et si vous êtes heureux avec moi, c'est que vous le voyez là votre bonheur, ou que c'est un hasard. Et si j'ai dérouté ma Douleur (merci Marguerite Yourcenar), et que j'en viens à ce que je suis (avant, j'étais une enfant prostituée, on payait mon éducation pour que je paraisse une enfant sage et aimante, derrière on m'a dit tu es ingrate, ingrate - aujourd'hui j'ai la fierté honteuse de déclarer qu'ingrate je le suis devenue, et que pire dans mon ingratitude, je me suis découverte, que j'ai éclaté le joug de ma personne, je suis en voie d'être bien - je sais, mon amour, vous ne m'aimez pas cynique, j'ai tant de mépris à adoucir, baisez-moi le front).

(Je porte la culpabilité de l'échec de notre famille d'adoption, mais le seul coupable, c'est - la douleur insurmontable qu'on donne en héritage enrichi chaque jour de ses propres ruminations aveugles. La famille est de l'ordre de la tragédie, et dans une tragédie, il n'y a pas de victime, à chaque jour sa peine). Guérissez-moi de ce que j'empire.

Voilà, j'aimerais en ce moment connaître l'amnésie de mon passé, la sexualité ne guérit pas, elle ouvre des brèches dans le temps, je m'y engouffre, pour ressentir le rien et le trop, pour oublier que du temps je suis l'esclave.

"Entre la mort et nous, il n'y a parfois que l'épaisseur  d'un seul être. Cet être enlevé, il n'y aurait que la mort". Marguerite Yourcenar

Voyez,

vôtre - rendue à la mélancolie des jours pluvieux

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Commentaires
L
Lony : tu es le premier à inaugurer le surnom ! merci...<br /> <br /> oh mais la Lune, ma toute douce, oui les antennes, oui (ça me fait penser aujourd'hui que je me suis allongée près d'une fourmilière sans fare gaffe...pfff)
L
L'idée de deux envies de bonheur qui se croisent - elles se croisent un jour sans s'attendre et oublient, ensuite, de se quitter, oublient, plus tard, qu'elles ne pensaient que se croiser -<br /> Et couver délicatement cet éphémère qui dure (et dont le passé a permis la rencontre - mais si rapelle toi, les antennes...)<br /> Une petite lune t'embrasse
L
J'ai lu et je suis là, vide de mots. Je ne désire pas violer ce silence qui s'impose aprés cette lecture. <br /> Merci Lola.
ClairObscure
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