notes du midi d'un jour de reprise
La grande différence entre la mère et l'amant - c'est qu'on peut exiger de la mère l'amour, devrais-je écrire l'Amour, une mère se laisse aimer jusque dans l'abîme, la frange noire de l'unique sentiment déraisonnable (j'ai adoré le maternel, la figure maternelle (et l'abîme je m'y suis jetée, et j'en suis revenue comme on revient du séjour des morts), j'aurais été écrivain, elle aurait fondé mon mythe d'écriture - et d'avoir eu deux mères, l'une naturelle, l'autre d'adoption me donnent la conscience aiguë que la mère, l'être humain, est si petite sous la figure maternelle, sous le symbole écrasant du maternel) d'où découlent les autres sentiments. De l'amant, on ne peut qu'admirer, l'amour prend un autre visage, plus léger, parfois non moins meurtrier (je parle de ces meurtres intimes, intérieurs, de ce qu'on tue les gens sans s'en achever toujours la vie des corps), ce n'est pas de l'amour, il n'y a pas d'amour quand entre l'orgueil en jeu, et le paraître.
Que je tente de transférer mon besoin sans fond de maternel dans mon amour des hommes (et mon homme a tort de croire que je haïs aussi les hommes, cela est faux, j'y ai réfléchi longuement, j'ai simplement été élevée par deux femmes qui recherchaient désespéremment la figure paternelle et m'en ont privée sans vraiment en prendre conscience, l'une rendant le père géniteur inexistant même en souvenir, l'autre en ôtant (ou acceptant qu'il ne fasse preuve d'aucune/ ) toute possibilité virile et paternelle) . Je suis faite du désir des hommes et de l'héritage vif d'une image masculine, paternelle notamment, désespérée - je devrais y consentir un jour), que je tente donc ce transfert affectif, vital, que je comble le renoncement de l'amour maternel (les abandons successifs, que j'ai subi et dont j'ai su accabler l'une de mes mères, l'autre n'étant qu'une pâle ombre absente de ma vie) est vain. Mais vital.
Le seul espoir que je garde, c'est que jamais je ne le rende malsain. Que cet espoir soit l'énergie, le mouvement spirituel, le moteur corporel, qui me pousse à vouloir vivre le plus longtemps possible. Quand je ne le pourrai plus, j'aurai une liberté, celle d'en finir. Et bien sûr, la liberté n'a jamais été un choix, mais une solitude.